J'ai perdu mon humour

Publié le par Christophe Pardon

J’ai perdu mon humour. Il a fui.

D’aucuns, à l’esprit railleur, feront mine de s’étonner que j’aie pu en avoir un. Pourtant, je peux l’assurer, c’est quand les choses et les êtres disparaissent que l’on mesure la réelle place qu’ils occupaient dans nos vies.

Il m’arrivait encore tout récemment de le laisser gambader et s’ébrouer librement. Il m’arrivait aussi parfois de le tenir fermement en laisse. C’était selon notre humeur à mon humour et moi. Je crois toutefois avoir sous-estimé un retour possible à son état sauvage. Et j’admets, trop tard sûrement et la mort dans l’âme, ce besoin qui s’impose à nous de le vouloir domestiquer à tout prix. Nous vivons en société, il ne faut pas l’oublier. Il est vrai que l’humour, lui, ne s’embête pas souvent avec la morale. Il est joueur, d’instinct. Tendez-lui un bâton et vous verrez bien. Bien sûr, ce naturel joueur peut laisser quelque fois dans l’incompréhension ou l’expectative, mais ceux qui en possèdent un le comprennent aisément. Quant aux autres, les dépourvus, ils en sont généralement scandalisés.

Il était bon de faire sortir mon humour régulièrement, de lui faire prendre l’air. Cela me permettait de m’oxygéner par la même occasion. Je prenais également soin de varier sa nourriture. Si elle avait été trop riche, mon humour aurait à coup sûr empâté. Il serait devenu lourd, pataud et tombant très généralement à plat. Il aurait pu s’affaler, se répandre très égoïstement sur le tapis en alpaga pour lequel des hôtes m’auraient demandé de me déchausser à l’entrée. J’évitais malgré tout d’amener mon humour chez certaines personnes dont je connaissais la susceptibilité sur les questions d’hygiène et qui avaient passé la serpillère dans chaque recoin de leur maison avant ma venue. Chez ces gens-là, l’allergie à l’humour n’est plus à prouver. Ils ne m’auraient plus jamais invité. Mais aurait-ce été une si grande perte ? Je regrette aujourd’hui d’avoir dû choisir entre mon humour et eux.

Nonobstant, se retrouver entre propriétaires d’humours n’est pas forcément gage de sauterie réussie. Un humour a toujours tendance à vouloir marquer son territoire et qui plus est à le conserver. C’est encore plus remarquable quand c’est l’humour du maître de maison. Les humours présents passent un moment à se renifler pour tenter de se reconnaître, voire de se séduire. Ils font les cabots. Et quand un humour ne trouve pas sa place dans la meute, il vaut mieux qu’il reste couché dans son coin. Avoir un humour sage et obéissant c’est bien, mais s’il montre des signes de taciturnité c’est moins bien. C’est que le désenchantement le gagne. S’ensuivent alors l’amertume et la cruauté. Il devient noir. On peut voir chez des plus goguenards d’entre eux apparaître ainsi une impitoyable férocité, mordante de cynisme. Ainsi, il m’était venu dernièrement l’idée d’accrocher un petit écriteau au portail de la maison signalant : « Attention ! Humour méchant ». Désormais, cela ne sert plus à rien. Cela aurait eu toutefois le mérite d’en dissuader certains et m’aurait évité d’éventuelles contrariétés. Il faut avouer aussi qu’en cas d’incident fâcheux, on a toujours plus facilement tendance à incriminer l’humour de l’autre que le sien. Pourtant, le contraindre trop souvent à la niche ou lui demander sans détour de la fermer par peur du voisinage ou des qu’en-dira-t-on n’est pas toujours la bonne solution. Il faut savoir écouter son humour quand il émet ses plaintes. Cela aurait dû me mettre d’emblée la puce à l’oreille.

J’ai perdu mon humour. Si quelqu’un le retrouve…

 

Publié dans humour, société

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